Impartialité de la juridiction administrative

Le Conseil d’Etat conserve une interprétation souple de l’impartialité du juge.

Il estime que qu’il ne résulte d’aucun texte ni d’aucun principe général du droit que la composition d’une formation de jugement statuant définitivement sur un litige doive être distincte de celle ayant décidé, dans le cadre de ce même litige, de surseoir à statuer par une décision avant dire droit dans l’attente d’une mesure de régularisation en application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.

 

(CE, 17 janvier 2024, n°462638, mentionné aux Tables du Recueil Lebon)

Pièces complémentaires et permis de construire tacite

L’auteur d’une demande de permis de construire peut apporter, pendant la phase d’instruction de sa demande et avant l’intervention d’une décision expresse ou tacite, des modifications à son projet qui n’en changent pas la nature.

Les pièces nouvelles sont alors intégrées à son dossier afin que la décision finale porte sur le projet modifié.

En conséquence, dans un arrêt du 1er décembre 2023 (n° 448905), le Conseil d’Etat estime que le pétitionnaire qui dépose spontanément des pièces complémentaires qui ne changent pas la nature de son projet, est en mesure, de se prévaloir d’un permis de construire tacite à l’issue du délai initialement notifié par l’autorité compétente.

 

(CE, 1er décembre 2023, n°448905)

Autorisations environnementales : notification

Depuis le 1er janvier 2024, les requérants doivent notifier leurs recours contre une autorisation environnementale auprès des auteurs et des bénéficiaires de la décision dans un délai de 15 jours.

Les articles R. 181-50 et R. 181-51 du Code de l’environnement sont ainsi modifiés et précisent les conditions dans lesquelles cette double notification devra être réalisée.

D’une part, cette obligation, relative aux recours administratifs et contentieux, est relative à la contestation d’une autorisation environnementale, à celle d’un arrêté fixant une ou plusieurs prescriptions complémentaires ou à une demande tendant à l’annulation ou à la réformation d’une décision juridictionnelle concernant une telle autorisation ou un tel arrêté. Les décisions refusant de retirer ou d’abroger une autorisation environnementale ou un arrêté complémentaire sont également concernées.

D’autre part, la notification doit être effectuée par lettre recommandée avec avis de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter de la date d’envoi du recours administratif ou du dépôt du recours contentieux auprès de la juridiction.

 

Décret n°2023-1103 du 27 novembre 2023 relatif à la notification des recours en matière d’autorisations environnementales

Succession de requêtes en référé-suspension

Le maire d’une commune avait pris un arrêté interruptif de travaux sur le fondement des dispositions de l’article L. 480-2 du code de l’urbanisme.

Le Conseil d’Etat (CE, 22 septembre 2023, req. n°472210) rappelle que la circonstance que le juge des référés ait rejeté une première demande de suspension, présentée sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, ne fait pas obstacle à ce que le même requérant saisisse ce juge d’une nouvelle demande ayant le même objet, notamment en soulevant des moyens ou en faisant valoir des éléments nouveaux, alors même qu’ils auraient pu lui être soumis dès sa première saisine.

C’est un élément souvent méconnu du référé suspension, qui permet des procédures successives.

Cependant, cela a une influence sur le rôle du jugement de cassation. En effet, le Conseil d’Etat précise que lorsque le requérant fait usage de cette faculté et se pourvoit également en cassation contre la première ordonnance ayant rejeté sa demande, l’intervention, postérieurement à l’introduction de ce pourvoi, d’une nouvelle ordonnance rejetant la nouvelle demande rend sans objet les conclusions dirigées contre la première ordonnance, alors même que la seconde n’est pas devenue définitive.

 

CE, 22 septembre 2023, req. n°472210

Démolition d’un ouvrage public mal planté : pas de prescription

Les requérants avaient demandé à la société Enedis de procéder à la dépose d’un pylône implanté sur leur terrain et de leur verser une somme de 60 000 euros en réparation des préjudices qu’ils estimaient avoir subis. Face au refus de la société, ils avaient saisi le juge administratif.

Au soutien de son pourvoi en cassation, la société Enedis opposait une exception de prescription trentenaire en invoquant des dispositions du code civil.

Dans son arrêt du 27 septembre 2023 (req. n°466321), le Conseil d’Etat précise que, compte tenu des spécificités de l’action en démolition d’un ouvrage public empiétant irrégulièrement sur une propriété privée, aucune disposition ni aucun principe prévoyant un délai de prescription ne sont applicables à une telle action. Un tel moyen était donc inopérant.

Le propriétaire peut donc toujours agir et demander la démolition.

 

CE, 27 septembre 2023, req. n°466321

Compétence : non-exécution d’une délibération approuvant l’acquisition d’un fonds de commerce

par une délibération, le conseil municipal d’une commune avait approuvé le principe et le prix d’acquisition d’un fonds de commerce d’une boucherie. Cependant, la commune avait informé la société, exploitant le fonds de commerce, qu’elle ne souhaitait pas acquérir ce dernier dans les conditions prévues par la délibération précitée.

 

Le Tribunal des conflits ((T. confl. 13 mars 2013, req. n°4260) juge que le juge administratif est compétent pour connaître des actes d’une personne publique modifiant le périmètre ou la consistance de son domaine privé.

Il précise qu’il en va de même s’agissant d’un litige dans lequel est recherchée la responsabilité de la personne publique en raison d’un tel acte, du refus de le prendre ou de son retrait.

 

T. confl. 13 mars 2013, req. n°4260

Effets de l’annulation du retrait d’un acte créateur de droits

Le Conseil d’Etat (CE, 28 décembre 2022, req. n°447875, mentionné aux tables du Lebon) rappelle qu’en cas d’annulation d’un retrait d’une décision créatrice de droits, la décision initiale est rétablie à compter de la date de lecture de la décision juridictionnelle prononçant cette annulation.

Toutefois, lorsqu’une telle décision a été retirée dans le délai de recours contentieux puis rétablie à la suite de l’annulation juridictionnelle de son retrait, le délai de recours contentieux court à nouveau à l’égard des tiers, à compter de la date à laquelle la décision rétablie fait à nouveau l’objet des formalités de publicité qui lui étaient applicables ou à compter de la date de notification du jugement d’annulation.

Cependant, le deuxième recours gracieux formé par des tiers à l’encontre de la décision initiale ne saurait conserver le délai de recours contentieux en ce qu’il constitue un deuxième recours administratif formé contre le même acte.

CE, 28 décembre 2022, req. n°447875, mentionné aux tables du Lebon

Intérêt à agir d’un requérant à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme

Le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Barthélemy avait rejeté, comme irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, la requête d’une société tendant à la suspension d’une délibération du conseil exécutif d’une collectivité délivrant un permis de construire pour la construction d’un restaurant de plage, en s’appuyant sur la densification du bâti intervenue après la date de la demande de l’autorisation contestée.

Le Conseil d’Etat rappelle le principe, posé par l’article L.600-1-3 du code de l’urbanisme, selon lequel l’intérêt pour agir contre une autorisation d’urbanisme s’apprécie à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire, sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières.

Le Conseil d’Etat conclut à l’erreur de droit commise par le juge des référés, en première instance, en ce qu’il s’était fondé sur une circonstance de fait qui n’existait pas à la date d’affichage de la demande de permis de construire du pétitionnaire.

CE, 21 septembre 2022, req. n°461113

Urbanisme : prolongement de la suppression du degré d’appel pour certains contentieux

Un décret n° 2022-929 du 24 juin 2022 modifie le code de justice administrative afin de prolonger la suppression du degré d’appel pour certains contentieux d’urbanisme relatifs aux permis de construire, de démolir ou d’aménager ou lorsque le projet est situé dans une zone dite tendue au regard du besoin de logements, tout en la limitant aux permis comportant trois logements et plus.

Il étend également la suppression du degré d’appel pour des contentieux liés :

– aux actes de création et d’approbation du programme des équipements publics des zones d’aménagement concerté (ZAC) portant principalement sur la réalisation de logements et qui sont situées en tout ou partie en zone tendue ;

– à des décisions prises en matière environnementale relatives à des actions ou opérations d’aménagement situées en tout ou partie en zone tendue et réalisées dans le cadre des grandes opérations d’urbanisme (GOU) ou d’opérations d’intérêt national (OIN). Ces actions ou opérations pourront notamment être susceptibles de favoriser le développement de l’offre de logements et le renouvellement urbain.

Ces trois dispositifs restent temporaires et sont applicables jusqu’au 31 décembre 2027.

Décret n°2022-929 du 24 juin 2022 portant modification du code de justice administrative et du code de l’urbanisme (parties réglementaires)

Urbanisme : le principe de la cristallisation des moyens est applicable à un jugement avant dire droit

La cristallisation des moyens permet au juge administratif de fixer une date à partir de laquelle les parties ne pourront plus invoquer de moyens nouveaux. L’article R.600-5 du code de l’urbanisme prévoit qu’il s’agit d’un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense.

Dans un arrêt du 24 juin 2022 (CE, 24 juin 2022, n° 456348), le Conseil d’Etat juge que la cristallisation des moyens s’applique au recours contre un jugement qui sursoit à statuer en vue de la régularisation d’une autorisation d’urbanisme en application de l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme et ce même si le délai de recours n’est pas expiré.

CE, 1ère – 4ème chambres réunies, 24/06/2022, 456348

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